PAR RAOUL NKUITCHOU NKOUATCHET
L’élan révolutionnaire en cours au Cameroun ne serait sans doute pas le même s’il n’y avait pas eu l’investissement et même le sacrifice unique, monumental, extraordinaire de cet écrivain camerounais de New York au cours des dernières années. C’est lui qui avant tout le monde a nommé la bête de la façon la plus radicale qui soit, du moins du côté francophone, puisque la « crise anglophone » a émergé séparément tout au long des soixante dernières années ; c’est surtout lui qui a incité, excité les Bamiléké à sortir du placard où ils se terraient depuis la fin du maquis au début des années 1970, procédant ainsi à un véritable « coming out politique » qui n’a pas fini de bouleverser la donne au Cameroun ; c’est encore lui qui a rameuté la diaspora, l’enjoignant de le suivre dans sa guérilla déclarée au régime du Renouveau. C’est enfin lui qui a, le premier, apporté une réponse à la hauteur de la haine et du mépris que le régime a pour les gens ; puisque jusque-là ceux qu’on appelle les « opposants » faisaient joujou avec les détenteurs du pouvoir, comme s’ils étaient dans une opposition au gouvernement suédois. Patrice Nganang a revendiqué le droit de recourir à la violence pour régler le problème politique au Cameroun. C’était inédit. Il a de ce fait directement contribué à décomplexer la hargne dont feront prochainement preuve les brigadiers de la B.A.S.
Il se trouve au Cameroun lorsque le 3 décembre 2017, l’activiste poste sur sa page Facebook un message au chef de l’État qui dit ceci : « Faites-moi confiance et je ne blague pas, je l’ai devant moi, lui Biya, et j’ai un fusil, je vais lui donner une balle exactement dans le front. Je le dis depuis Yaoundé où je suis. » Deux jours plus tard, le 5 décembre, une énorme tribune qui rapporte ce que l’écrivain a vu et entendu sur le terrain de la crise anglophone où il s’est rendu en enquêteur et dans laquelle il met explicitement le pouvoir en accusation est publiée en ligne par l’hebdomadaire Jeune Afrique, « Carnet de route de la crise (dite) anglophone ». Il comprend alors qu’il est temps de quitter le pays. Le 6 décembre, il se fait accompagner à l’aéroport de Douala par un ami. Il fait les formalités d’embarquement sur un vol Kenya Airways à destination de Harare, au Zimbabwe, où l’attend sa famille pour les vacances de fin d’année. Les agents du SED (Secrétariat à la défense) qui l’attendaient au check-in l’enlèvent, le menottent et le transfèrent à Yaoundé où il est mis à l’isolement dans une cellule. Pendant plusieurs jours, ses proches ne savent pas où il se trouve. Ce n’est qu’au bout de trois jours qu’il est informé du motif de son arrestation : « outrage au chef de l’État ». S’ensuit alors un véritable emballement médiatique au Cameroun et plus encore à l’étranger. Ce qui sauve Patrice Nganang d’une très lourde peine d’emprisonnement, c’est la pression mise sur le gouvernement camerounais par l’immense campagne internationale menée par les écrivains, les journalistes et d’autres relais, sans oublier — bien sûr — son passeport américain qu’il avait jusque-là pudiquement dissimulé. Poursuivi pour « apologie de crime » et « menaces » sur le chef de l’État, le procureur général sur instruction du ministre de la Justice après consultation avec le président de la République en personne requiert l’abandon des poursuites. Il est vrai que le tribunal de Yaoundé ne savait pas quoi faire de ce prévenu plutôt particulier, requalifiant les faits retenus contre lui à plusieurs reprises. Le mercredi 27 décembre 2017, l’écrivain est sorti de prison et conduit manu militari et sous forte escorte à l’aéroport pour un vol à destination des États-Unis. Expulsé de sa ville natale !
Lorsque Patrice Nganang s’est soulevé contre le régime Biya il y a longtemps — ce que peu de gens savent, en fait —, la plupart de ses contempteurs les plus virulents d’aujourd’hui nageaient encore entre deux eaux ; beaucoup ne découvrant d’ailleurs que depuis octobre 2018 que le Cameroun vit sous l’une des dictatures les plus pernicieuses du monde ! Oui, on peut le dire sans l’ombre d’un doute : si ce n’étaient ses errements, cet homme serait en mesure de tutoyer n’importe quel Camerounais au nom de ses « services rendus » à la révolution. Il serait incontestablement parmi les premiers dont les bancs publics et les rues de Yaoundé, Buéa ou Douala porteraient les noms dans quelques années. L’homme aurait pu être l’une des grandes consciences dans le Cameroun de demain ; son œuvre et sa contribution dans le champ politique l’auraient largement justifié. Ça se compte sur les doigts des deux mains, au grand maximum, le nombre de Camerounais issus du monde littéraire ou intellectuel qui n’aient jamais pesé d’un poids comparable au sien dans la vie politique de notre pays. Il a écrit, beaucoup écrit, des articles, des livres sur son pays ; il a donné des dizaines d’interviews dans les médias qui ont pignon sur rue. Il a adressé toutes sortes d’alertes aux autorités africaines, américaines et européennes. Depuis près d’une décennie, il se sert de Facebook et des réseaux sociaux comme d’un engin de sa guerre contre le régime Biya. Il a fait de l’action sociale de terrain à Yaoundé, retapant ici des écoles, bâtissant là des ponts avec une vraie armée de volontaires au sein de sa fondation Generation Change. Il avait déjà répondu à des sollicitations médiatiques auparavant, mais ce n’était qu’un avant-goût de la tournée qu’il fera dans la presse, les radios et les télévisions après son arrestation puis son expulsion du Cameroun à la fin de l’année 2017. Il se met alors en mission punitive contre ses ennemis de Yaoundé ! Ensuite, il créera sa propre chaîne télévision, Generation Change TV (GCTV). Il est l’un des principaux artificiers de l’insurrection morale, ce ferment de toute révolution politique sérieuse, qui a précédé la campagne présidentielle extraordinaire qu’on a connue, et qui s’est transformée en soulèvement dans la diaspora après le « hold-up » électoral d’octobre 2018. À travers sa campagne de levée de fonds « JSK – Je suis Kamto », l’écrivain a collecté des dizaines de milliers de dollars à travers la diaspora, qui ont contribué à nourrir les centaines de prisonniers qui étaient retenus autour du Professeur Kamto à la prison de Kondengui pendant de longs mois l’année dernière, et aussi à soutenir leurs familles. Mais voilà ! Il aura suffi qu’il ne se sente pas bien traité par l’équipe du leader du MRC pour qu’il retourne l’arme contre l’ancien candidat à la présidentielle.
Patrice Nganang est un punk, sa pente naturelle a repris le dessus sur lui et l’a amené à se retirer pratiquement de lui-même des discussions politiques à venir au Cameroun. Il cohabite en effet chez lui, comme chez un certain nombre d’hommes hors du commun, une face A géniale et une face B autodestructrice. Nietzsche que l’écrivain new-yorkais admire avait d’abord vénéré Richard Wagner, qu’il qualifia d’artiste dionysiaque par excellence, celui qui devait enfin dominer l’époque de la décadence chrétienne, faire renaître le mythe allemand, se situant exclusivement par rapport au grand musicien, avant de se révolter contre son maître, une façon de rejeter l’influence grandiose que celui-ci avait sur le philosophe. Tout d’un coup, Wagner ne fut plus le prophète de l’avenir, mais l’interprète et le commentateur du passé, bref un réactionnaire ! L’écrivain et activiste de New York procède à peu près de la même façon avec le Professeur Maurice Kamto. De toutes les façons, son activisme n’a pas été exempt de dérapages, il y a eu du grabuge, de la grosse casse ! Son incrimination de toute une communauté, celle qu’il appelle les « Bulu », a laissé des traces profondes dans l’opinion ; ses attaques plus ou moins ciblées sur un nombre considérable de personnalités de la société civile qui ne trouvent pas grâce à ses yeux, ont fragilisé le combat et blessé beaucoup d’âmes ; sa volonté délibérée de hausser le niveau de violence dans la vie politique en a embarrassé plus d’un.
PAR RAOUL NKUITCHOU NKOUATCHET
Source: https://www.facebook.com
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