CAÏN SOUS LES TROPIQUES, OU HISTOIRE ET HYSTÉRIE – PAR ACHILLE MBEMBE

CAÏN SOUS LES TROPIQUES, OU HISTOIRE ET HYSTÉRIE - PAR ACHILLE MBEMBE
CAÏN SOUS LES TROPIQUES, OU HISTOIRE ET HYSTÉRIE – PAR ACHILLE MBEMBE

On ne peut pas être de tous les combats. Il y en a qui valent la peine. Parce qu’on les choisit soi-même. Et surtout parce qu’au-delà de soi, quelque chose de fondamental, voire d’historique, s’y joue.

Il y en a d’autres – luttes vénales dans un caniveau – qui ne valent pas la peine. Ou qui seraient mieux menés par d’autres.

EN VÉRITÉ

J’aurais voulu, cette fois-ci, non pas m’abstenir, mais me tenir à l’écart, et pour toutes sortes de raisons que j’aurais voulu ne point répéter ici, par respect pour tous.

Mais puisque, de toutes parts, on me somme de prendre position ou de m’expliquer, je vais le faire, et en vérité.
Nganang Patrice? Voici en effet un personnage que je n’ai jamais rencontre de ma vie, mais qui, par la force des circonstances, m’a force a ne nourrir a son égard qu’aversion et dédain, indifférence et mépris.

C’est qu’à deux reprises, l’une des petites universités d’Etat de New York dans laquelle il exerce m’a demandé de rendre un jugement sur son œuvre. Dans le système universitaire américain, ce genre d’exercice – à savoir le jugement par ses pairs – est une coutume à laquelle les autorités ont généralement recours, notamment dans des affaires de promotion interne ou d’allocations de bourses de recherche.

La première fois, je me suis acquitte de bonne grâce de cette tâche. J’avais alors émis un jugement favorable, sur la base d’un texte, Temps de chien, qui malgré ses tâtonnements et approximations, laissait croire à l’époque que l’impétrant avait en lui les ressources d’une honorable carrière dans l’écriture. Encore eut-il fallu faire preuve de constance, de travail sur soi et de dépassement.

Pour que les choses soient claires, je dois ajouter que ce genre de sollicitations, j’en reçois très régulièrement.

La deuxième fois – il y a deux ou trois ans – la petite université d’Etat de Stonybrook m’a adressé la même demande. Il fallait, une fois de plus, prononcer un jugement sur l’œuvre de Nganang Patrice. Cette fois-ci, je me suis abstenu non par malice, mais pour de profondes raisons éthiques que j’avais, jusqu’à présent, tenu à garder pour moi.

En effet, entre la première évaluation et cette nouvelle sollicitation, je n’avais véritablement pas suivi le travail académique de l’intéresse. J’étais en plein projet d’écriture, et me replonger entièrement dans tous ses écrits aurait consomme beaucoup de mon temps alors que je n’en avais guère. Par ailleurs, il n’était pas question de prononcer un jugement de complaisance qui eut porte atteinte à mon intégrité et à ma réputation. Je décidai par conséquent de ne point répondre affirmativement à la demande de Stonybrook.
Ce n’était pas l’unique raison. Il se trouve qu’au cours de la période séparant la première évaluation de la deuxième, la plupart de ce qu’il m’avait été donne de lire de Nganang Patrice – et dont il était manifestement l’auteur – consistait en diatribes dans les journaux et les medias sociaux.

LE SUJET DELIRANT

Dans la plupart de ces interventions sans aucun lien avec ses fonctions académiques ou d’écrivain, il s’agissait de propos de caniveaux, tout à fait incohérents, symptomatiques non pas d’une écriture fut-elle surréaliste, mais d’une vie manifestement blessée.

Blessure contre névrose, diraient les neuro-psychanalystes. En effet, l’on n’avait affaire ni à un écrivain, ni a de la littérature.

L’on avait affaire à un sujet délirant, voire hallucine, ou peut-être les deux à la fois, dont chaque mot et chaque phrase témoignaient d’un profond traumatisme en même temps que d’une extraordinaire propension mimétique à faire souffrir.
Dans ces propos ou se mêlaient sadisme, masochisme, pulsions tribalistes et pulsions de destruction, sexualité perverse, obsession des testicules et autres combats contre toutes sortes de moulins à vent, étaient charriées toutes sortes de choses plus propres à l’observation clinique qu’a la critique proprement académique.

Je veux bien que, pour des raisons tenant à la compensation narcissique, nous nous comparions (ou que l’on nous compare) a Mongo Beti, Victor Hugo ou Voltaire. Ayant tout de même lu les uns et les autres, Sony Labou Tansi et le Marquis de Sade y compris, je puis assurer qu’il n’y a, chez aucun d’entre eux, autant de ressentiment, de dérivation et déplacement des figures de la haine, du sadisme et de la perversité.

Ne pouvant faire de telles observations la matière de mon jugement sans causer du tort à la carrière de l’impétrant, je déclinai tout simplement la sollicitation de son université. Pour son bien et celui de son institution, tant le dévoilement de tels propos aurait plonge dans un doute moral très profond la majorité des parents des étudiants américains dont il a la charge.

Depuis lors, il a entrepris de monter contre moi une odieuse et interminable cabale faite de calomnies, de mensonges éhontés, d’attaques ad hominem, qui m’ont obligé à un moment de recourir à un avocat, avant que plusieurs aines ne me supplient de retirer ma plainte.

Mais oublions tout ceci et prononçons-nous sur le cas d’un homme enferme dans une cellule, peu importe qu’il veuille en sortir ou qu’il juge, pour des raisons d’opportunisme, d’en tirer je ne sais quel bénéfice.

Dans les satrapies de l’ancienne Afrique Equatoriale Française, les enlèvements de personnes présumées innocentes, les détentions arbitraires, la torture dans les commissariats de police, voire les exécutions extra-judiciaires relèvent malheureusement de faits divers. La brutalité ne s’est pas s’est pas seulement faite banalité. La violence, lapidaire, est devenue la raison d’être d’un Etat qui n’hésite point à l’exercer libéralement, que ce soit contre ses ennemis putatifs ou, lorsqu’il le faut, contre les siens.

FAIRE UNE PLACE AU FOU PARMI NOUS

Monsieur Nganang Patrice en est la dernière victime. Presque collatérale puisqu’en rigueur de terme, il ne représente aucune menace objective pour le régime de Monsieur Paul Biya. Mais n’a-t-il pas jure qu’il abattrait volontiers l’autocrate (une balle a la face) si jamais il se retrouvait devant lui, un fusil à la main? Esbroufe si on veut être généreux. Exemple caractérise de schizophrénie si on veut être sérieux.

Et donc, pour ce qui me concerne, chaque jour supplémentaire que Nganang Patrice passe dans sa cellule est une distraction, et de distractions, nous ne pouvons pas nous en permettre dans les conditions que vit actuellement le Cameroun.

Il faut donc le relâcher et au plus vite.

Sa détention – banale aux yeux d’un régime qui a fait de la corruption, de l’intimidation et de la brutalité son mode privilégie de fonctionnement – constitue-t-elle l’évènement historique que ses partisans veulent bien lui octroyer?
Evènement hystérique, sans doute. Historique? Non.

Mais surtout évènement typique du “complexe de Caïn” qui semble avoir pris possession de bien des nôtres.

Car, c’est vrai – et on ne s’en est pas suffisamment rendu compte – qu’un certain mode d’exercice du pouvoir a produit, chez nous, d’innombrables blesses, des sujets hallucines, des gens victimes de toutes sortes de lésions, de traumatismes, de tumeurs, d’encéphalites, littéralement disloques, terrasses par toutes sortes de troubles, y compris de schizophrénie, d’autismes, de névroses et d’épilepsies, d’obsessions compulsives, de syndromes d’hyperactivité, de déficit d’attention.

La plupart des lésions dont ils ont été victimes sont de nature cérébrale. Ces lésions cérébrales donnent lieu à des formes d’agitation politique entièrement faits de pulsions de destruction et de négativité. De tels sujets s’épuisent dans toutes sortes de luttes de caniveaux, persuades qu’ils sont que le pouvoir se trouve à portée du caniveau.

Le malheur du pays est que nous sommes sur le point d’être coince entre deux figures de la démence. D’un cote une folie qui répand le sang, et de l’autre une autre qui en appelle à faire de même, au nom d’une pseudo-libération. Elle revêt le masque de l’écriture et de la fiction tout en sachant très bien que la vie n’est pas une fiction. Elle est faite de chair et de sang d’hommes et de femmes réels.

Au demeurant, la fonction de l’écriture n’est pas d’en appeler au meurtre. Elle est d’interpeller les consciences, dans le but d’élargir les espaces de liberté et de dignité, y compris pour nos ennemis. Déshumaniser les autyres et en appeler à répandre le sang d’autrui fait partie du complexe de Caïn. Notre lutte pour un autre Cameroun ne vise pas à remplacer une jungle par une autre. Si je peux impunément en appeler à répandre le sang d’autrui, qu’est-ce qui empêche cet autrui d’en appeler à mon meurtre?

Je ne signerai donc aucune pétition, car il n’est pas question d’apporter je ne sais quel soutien à des appels au meurtre, fut-il celui du tyran. La politique de la résistance et de la liberté n’a rien à voir avec la démocratisation des assassinats extra-judiciaires. Nous nous débarrasserons de la tyrannie par une pratique ascétique de la justice et non de la vengeance.

Je ne soutiendrai pas non plus les combats qui se font au nom du virilisme du genre, “mes couilles sont faites de pierre alors que les tiennes sont molles”. Je ne signerai pas de pétitions parce que je ne soutiens pas la diffamation, les attaques grossières contre les femmes, les prostituées incluent. Cette sorte de masculinisme éhonté doit être condamnée.

VITE, RELÂCHEZ-LE !

Ceci dit, les autorités de Yaoundé doivent laisser partir Monsieur Nganang Patrice.

Le fait qu’il dispose de la double nationalité ne doit pas leur servir de prétexte pour l’expulser ou pour le bannir du territoire camerounais, sous prétexte qu’il aurait enfreint les lois concernant l’immigration légale.

Il faut le sortir de sa cellule parce que tout pays et toute société ont besoin de quelques bouffons, voire de quelques fous.

Il nous faut faire de la place aux fous et aux bouffons dans notre société.

Il y a longtemps que Nganang Patrice ne représente plus la figure de l’écrivain. Il y a longtemps qu’il a sciemment ou non endosse la figure du fou, victime hallucinée parmi d’autres des lésions cérébrales que la tyrannie postcoloniale a manufacture chez nous, l’esprit de démence qui menace la plupart des jeunes, et le nihilisme politique et culturel qui en est le langage.

Ce dont Nganang a besoin, ce n’est pas de croupir dans une sordide cellule. C’est de continuer à être, parmi nous, la figure vivante de la déchéance – y compris de la raison et de la mesure – que le pouvoir politique postcolonial a fabriqué.
Aux autorités de Yaoundé, je dis donc: libérez Nganang, ce personnage grossier et exécrable, sulfureux et schizophrène, que vous avez inventé.

Il est notre Caïn.

Mais surtout, essayons de rebâtir notre pays sur la base d’une autre éthique, non pas celle du catastrophisme et du nihilisme, mais celle d’Abel.

PAR ACHILLE MBEMBE

Source: https://www.facebook.com

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