GBAGBO ACQUITTÉ : LA FRANCE HUMILIÉE

Ce n’est pas parce qu’on parle la même langue qu’on parle des mêmes choses. Le procès et l’acquittement à la Cour pénale internationale, de l’ancien président ivoirien Laurent GBAGBO, et de son ex-collaborateur Charles BLÉ GOUDÉ, ont suscité et continuent de susciter des passions en Afrique sub-saharienne francophone, où les audiences diffusées à la TV, et via le streaming, ont été souvent regardées en direct. Mais il a plutôt laissé indifférent en France, notamment, parce qu’il a été raconté comme une affaire à la fois étrange et étrangère, alors qu’il n’est qu’un épisode d’un feuilleton 100 % français. [Générique] Beaucoup de commentateurs ont vu dans l’acquittement spectaculaire de Laurent Gbagbo, et de Charles Blé Goudé, prononcé en plein milieu du procès, sans même attendre le plaidoyer de la défense, un terrible échec de la procureure, auprès de la Cour pénale internationale, basée à La Haye, aux Pays-Bas.

Il est vrai que le juge italien Cuno Tarfusser, a prononcé le 15 janvier dernier un verdict extrêmement dur, pour l’équipe d’accusation, dirigée par la gambienne Fatou Bensouda.

– « Lors des 231 journées d’audience, la Chambre a entendu 82 témoins cités par l’accusation. Soit dans le prétoire, soit par voie de liaison vidéo. Des milliers de documents ont été versés au dossier et des centaines de requêtes, demandes et décisions ont été déposées. La Chambre conclut à la majorité de ses membres, qu’il n’est pas nécessaire que les équipes de la défense poursuivent la présentation des moyens de preuve, étant donné que le procureur ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve en ce qui concerne plusieurs éléments constitutifs essentiels des crimes tels que reprochés aux accusés. En particulier, la majorité estime que le procureur n’a pas démontré qu’il existait un plan commun destiné à maintenir Laurent Gbagbo au pouvoir et comprenant la commission de crimes à l’encontre de civils ».

– En réalité, au delà des magistrats debouts de la CPI qui ne sont qu’un masque, le blanchiment judiciaire de Laurent Gbagbo emprisonné depuis près de 8 ans est une gifle pour la France officielle. C’est la France, ex-puissance coloniale qui, sous Jacques Chirac puis sous Nicolas Sarkozy, a voulu puis obtenu la peau de l’ancien président de Côte d’Ivoire, au prix hélas de milliers voire de dizaines de milliers de morts. S’il est arrivé dans sa cellule de 9 m² au pénitencier de Scheveningen aux Pays-Bas le 30 novembre 2011, Laurent Gbagbo s’est vu promettre la CPI depuis janvier 2003.

La mise en garde vient dans un premier temps de Blaise Compaoré, alors président du Burkina Faso voisin. Porte-flingues de la Françafrique depuis l’assassinat du leader révolutionnaire Thomas Sankara en 1987, Compaoré est celui qui offre une base arrière à la rébellion armée qui attaque Abidjan le 19 septembre 2002, dans une tentative avortée de coup d’état qui occasionne 300 morts en une seule nuit.

– « Gbagbo finira comme Milošević, c’est-à-dire devant le Tribunal Pénal International ». Blaise Compaoré. – Quelques jours plus tard, des négociations politiques s’ouvrent à Paris. Objectif : obtenir du numéro un ivoirien qu’il signe un accord de partage de pouvoir favorable à son opposition civile et armée. À l’époque, un de ses conseillers dénonce dans les colonnes du Figaro, ce qu’il appelle un chantage éhonté.

Seize ans après, il raconte.

– Les autorités ont commencé à agiter le chiffon rouge de la CPI dès l’instant où elles ont compris que le président Gbagbo mettrait du temps à mettre en œuvre l’accord de Marcoussis. Alors Monsieur de Villepin qui était, d’abord, ministre des affaires étrangères, a publiquement indiqué que si le président Gbagbo ne se pliait pas à la parole qu’il avait donnée de remettre le pouvoir à la rébellion, de reconnaître la légitimité quasiment d’une emprise du pouvoir par les armes, la France mettrait en œuvre un certain nombre d’instruments juridiques pour le faire poursuivre par la Cour pénale internationale. – Bien entendu, une question vient d’entrée de jeu à l’esprit : qui est Laurent Gbagbo, et pourquoi était-il considéré comme un adversaire par les dirigeants français de l’époque ? C’est-à-dire Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy.

Nous avons évoqué la question avec David Mauger, membre de l’association Survie et co-auteur du livre « Un pompier pyromane : l’ingérence française en Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny à Ouattara ». Nous avons commencé par la nécessaire mise en contexte. Que représente la Côte d’Ivoire pour l’État français ? – La Côte d’Ivoire, c’est l’un des pays justement qui devient indépendant en 1960, avec un premier président qui s’appelle Houphouët-Boigny, quelqu’un qui avait déjà une très longue carrière politique en France. Il a été député à l’Assemblée nationale, il a été ministre d’État, c’est l’un des rédacteurs de la Ve république sous De Gaulle.

Et en fait, lui est plutôt réticent à cette marche vers l’indépendance et c’est le premier à employer le terme de Françafrique. C’est quelqu’un qui fait très bien l’affaire des Français. Les Ivoiriens en gardent un souvenir plutôt comme d’une époque relativement calme par rapport à ce qui va venir par la suite, mais disons qu’il a été l’un des pions de la France pour mener un certain nombre de déstabilisations, que ce soit au Nigéria à la fin des années 60 avec la Guerre du Biafra, où la Côte d’Ivoire va servir de relais pour des livraisons d’armes vers les sécessionnistes biafrais.

Un peu plus tard, avec la guerre qu’il va y avoir au Liberia qui est un pays voisin de la Côte d’Ivoire. Pareil, il va y avoir des bases arrières de la rébellion menée par Charles Taylor et déclenchée en 1989, et qui va déferler sur le Liberia, qui va commettre des crimes absolument atroces.

Donc voilà un petit peu la Côte d’Ivoire d’Houphouët qui prend fin avec le décès du père fondateur en 1993. Et là, le jeu politique ivoirien va devenir, disons, un véritable panier de crabes pendant une longue période. Et c’est sans doute pas fini aujourd’hui. En fait, il y a 3 grands personnages politiques en Côte d’Ivoire : il y a le successeur d’Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié qui incarne l’ancien parti unique, qui a des liens extrêmement forts avec la droite française notamment, il y a Alassane Ouattara qui n’est à l’origine pas du tout un homme politique ivoirien, mais qui a fait sa carrière dans les grandes institutions financières internationales.

D’abord à la BCEAO, la banque qui gère le Franc CFA pour l’Afrique de l’Ouest, puis ensuite au Fonds Monétaire International où il a été directeur africain.

Et en fait, ça a été le premier ministre d’Houphouët-Boigny à partir de 1990 lorsque la Côte d’Ivoire, un petit peu comme la Grèce dans une époque beaucoup plus récente, a dû faire appel à l’aide internationale parce qu’elle était face à une très grave crise de la dette. C’est un pays exportateur de cacao à l’époque essentiellement, avec 40 % de la production mondiale. Les prix du cacao se sont effondrés et la Banque mondiale et le FMI vont aider la Côte d’Ivoire, mais en contrepartie d’une politique d’ajustements structurels, des coupes dans les budgets sociaux, un petit peu ce qu’à connu la Grèce, et donc Alassane Ouattara est nommé premier ministre dans cette perspective-là d’appliquer les recettes néolibérales des grandes institutions internationales.

Le troisième personnage qui est l’opposant politique historique à Houphouët-Boigny, qui avait fondé le Front Populaire Ivoirien, d’abord un parti clandestin sous le régime de parti unique, et qui ensuite va devenir un parti officiel à partir du moment où le multipartisme va enfin s’appliquer en Côte d’Ivoire, à la fin des années 80. Donc lui c’est Laurent Gbagbo.

– En octobre 2000, Laurent Gbagbo, ex-militant marxiste converti à la social-démocratie, proche de certaines figures du Parti socialiste français, est élu à la présidence de la République face au dirigeant d’une junte militaire qui ne lâche le pouvoir qu’à la suite d’une insurrection populaire. Les héritiers d’Houphouët-Boigny et la droite française ne l’acceptent pas. La rébellion armée se déclenche quelques mois après la fin de la cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin. C’est la guerre. Une guerre où, comme dans toutes les guerres, les agresseurs et les agressés commettent de graves exactions.

Mais le récit médiatique dominant en France privilégie une comptabilité sélective : les méfaits de l’armée ivoirienne sont mis en lumière en ce qu’ils sont censés prouver la volonté criminelle de Gbagbo.

Ceux des rebelles sont souvent camouflés, ou considérés comme des dérapages n’ayant surtout aucun rapport avec Ouattara. Cet alignement sur les partis pris de l’Élysée ne se formalise pas trop de « fake news ». Un exemple au début du conflit armé en Côte d’Ivoire, l’enjeu pour la diplomatie française est de contester l’évidence de l’agression de la Côte d’Ivoire, de l’État Ivoirien, à partir d’un pays étranger. En effet, les accords de défense entre Paris et Abidjan obligent la France à se ranger du côté de son allié historique s’il fait l’objet d’une attaque extérieure.

Libération publie alors un article toujours disponible sur son site Internet qui prétend qu’il n’y a ni putsch ni mutinerie en Côte d’Ivoire mais un règlement de comptes déguisé, interne au pouvoir de Gbagbo. Un peu comme si l’on écrivait après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis qu’il n’y avait pas eu d’attentats au World Trade Center, et qu’on maintenait son article en ligne des années plus tard au mépris des faits révélés par la suite. Écoutons ce que nous en dit David Mauger. – Alors en automne 2002 effectivement il y a eu un article de Libération avec une thèse qui était soi-disant un faux complot interne à la Côte d’Ivoire dans le but d’éliminer certaines personnalités politiques en Côte d’Ivoire, soit des opposants ou même des gens au sein du FPI, donc c’était quelque chose de relativement trouble. En fait, on a contacté ce journaliste qui avait écrit cet article dans Libération et qui a reconnu tout à fait qu’il avait été l’objet d’une manipulation.

Il avait reçu des informations comme c’est souvent le cas, les journalistes qui travaillent sur l’Afrique, pour la plupart, ne font pas un travail de terrain. C’est-à-dire qu’ils ont des sources d’information. Ça peut être des officiels français, ça peut être des militaires français, ça peut être des gens sur place évidemment, mais disons qu’ils sont à la merci effectivement d’une éventuelle manipulation, et là manifestement, c’était le cas. – À d’autres occasions, la presse française majoritaire relaie des faits inventés alors même que la diplomatie hexagonale est en difficulté. En novembre 2004, une quasi-guerre éclate entre Paris et Abidjan parce que l’armée française a détruit toute la flotte aérienne de l’armée ivoirienne qui tentait de récupérer les zones occupées par les rebelles.

À l’époque, Jacques Chirac accuse Laurent Gbagbo d’être responsable de la mort de soldats français de la force Licorne dont une base a été bombardée par des mercenaires biélorusses travaillant pour le compte de l’armée ivoirienne. Cette action hostile relève donc de la légitime défense explique-t-on à l’époque. Entre parenthèses, il faut noter que l’on sait que l’exécutif français d’alors a plusieurs fois laissé filer les mercenaires biélorusses assassins de soldats français. Mais à l’époque, des dizaines de milliers d’Ivoiriens sont dans la rue pour protester contre les ingérences françaises. Les soldats de la force Licorne tirent sur des foules désarmées, tuent des dizaines de civils et scandalisent l’opinion africaine.

Black-out dans les médias parisiens, y compris dans « Le Monde » qui distille des « fake news » comme l’explique encore David Mauger. – La couverture du Monde, je crois que c’est le 10 ou le 11 novembre 2004. En fait, en une du Monde il y a une tête d’article qui explique que dans les rues d’Abidjan des corps blancs gisent, décapités.

Et ça, c’est une information absolument fausse, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun expatrié français ou européen, occidental qui est mort pendant ces journées-là. Il y a eu les fameux soldats français morts dans le bombardement de Bouaké, mais il n’y a pas eu de morts à Abidjan au cours de ces exactions.

Donc, là encore, c’est peut-être une manipulation, une source française qui a voulu renforcer le sentiment que Laurent Gbagbo était décidément un président prêt à bombarder les Français tellement il était hostile. – Selon les accords de paix, garantis par la France, la crise ivoirienne doit se conclure par des élections libres, transparentes et ouvertes à tous les candidats, après le désarmement des rebelles qui occupent plus de la moitié du pays. Mais les rebelles ne désarment pas et la France désormais dirigée par Nicolas Sarkozy, un ami de longue date d’Alassane Ouatarra se contente de faire pression sur… Laurent Gbagbo. Ce dernier doit autoriser, en dépit de tout, les élections organisées par une commission aux mains de ses adversaires politiques. – Il y a notamment un câble Wikileaks qui va expliquer que les autorités française font tout pour imprégner l’idée que le désarmement est une exigence absolument intenable, qui n’est pas réaliste.

Et c’est une expression qui va être reprise par un certain nombre d’ONG notamment ICG qui produit des rapports sur la situation en Côte d’Ivoire. Et finalement, on va effectivement aller aux élections de 2010 sans désarmement. Et même pour appuyer encore un peu cette idée qu’on va aller dans des élections, dans une situation qui est absolument impropre à la tenue d’élections, tous les six mois depuis 2006 il y a des experts de l’ONU qui produisent un rapport pour surveiller l’embargo qui est mis sur les armes et sur le diamant, à destination ou bien originaire de Côte d’Ivoire. Et en fait, le dernier rapport avant les élections est remis par les experts de l’ONU en septembre 2010 au comité des sanctions à l’ONU. Et de manière très bizarre, alors que d’habitude en l’espace d’un mois le comité des sanctions le transmet au secrétaire général de l’ONU et dès lors il est publié, tout le monde peut le lire, eh bien ce rapport va rester dans les tiroirs pendant plus de six mois, c’est-à-dire jusqu’au moment où Laurent Gbagbo va être évincé du pouvoir.

GBAGBO ACQUITTÉ : LA FRANCE HUMILIÉE

Alors que disait ce rapport, puisque finalement on en a eu connaissance ? Ce rapport expliquait que les deux camps à ce moment-là, plutôt que de préparer les élections, se réarmaient. Et notamment pointait du doigt trois leaders de la rébellion ivoirienne et, quand on lit les conclusions de ce rapport, il incitait très fortement le conseil de sécurité à prendre des sanctions contre ces commandants rebelles. Si on regarde ce qui se passe six mois plus tard, Laurent Gbagbo se fera évincer du pouvoir, il y aura un nouveau rapport de l’ONU totalement contradictoire avec le précédent, et qui au contraire va demander des sanctions contre Laurent Gbagbo et quasiment l’ensemble de son gouvernement qui était en place à ce moment-là. Donc il y a eu une espèce de volte-face, le travail des experts de l’ONU était absolument remarquable, mais il a été délibérément ignoré par les diplomates français.

– C’est dans ces conditions confuses que se tient le scrutin d’octobre et novembre 2010. – Ce qu’on sait c’est que les observateurs qui étaient présents sur place au niveau de l’ONU, on a eu accès à la carte de déploiement de ces observateurs, de manière assez curieuse ils étaient beaucoup plus concentrés dans l’ouest de la Côte d’Ivoire reputé être le fief de Laurent Gbagbo que dans le nord de la Côte d’Ivoire, où la rébellion était déployée et en armes.

Donc ça c’est quelque chose d’assez curieux quand on le réalise, autrement dit, dans cette élection on a beaucoup surveillé le fief de Laurent Gbagbo et on a laissé faire ce qui se passait dans le nord de la Côte d’Ivoire et donc c’est pas très étonnant qu’on arrive à des élections extrêmement contestées, où d’un côté la France va faire pression sur le Président de la Commission électorale indépendante pour proclamer des résultats en fermant les yeux sur les irrégularités qui ont pu avoir lieu dans le nord de la Côte d’Ivoire et, finalement qui donne Alassane Ouattara comme vainqueur de cette élection.

Et de l’autre côté, on a un conseil constitutionnel qui, lui, invalide une partie des résultats du nord de le Côte d’Ivoire et qui, du coup, donne Laurent Gbagbo vainqueur. Mais disons que ce scénario n’est pas très étonnant quand on connait les circonstances même de l’élection.

Mais l’attitude de la France ça va être de dire : eh bien voilà, on écoute les résultats donnés par le Président de la Commission électorale indépendante et Alassane Ouattara va être qualifié de Président élu reconnu par la communauté internationale, et c’est vraiment les termes qu’on va entendre sur tous les plateaux de télévision, sans s’attarder sur les conditions de cette élection. – La suite, on la connait, la France se tient aux côtés d’Alassane Ouattara pour renverser militairement Laurent Gbagbo. Écarté du pouvoir, ce dernier sera finalement traduit devant la Cour pénale internationale pour des violences qui se situent dans le cadre du conflit post-électoral. Mais aujourd’hui, on peut affirmer qu’un processus était déjà enclenché avant même la dégradation de la situation sur le terrain, c’est ce qu’explique Fanny Pigeaud journaliste indépendante, autrice de « Côte d’Ivoire, un histoire tronquée » et co-autrice de « L’arme invisible de la Françafrique, l’histoire du franc CFA ».

Elle collabore à Médiapart et a analysé des mails ayant fuité du bureau du procureur auprès de la CPI, dans le cadre de la série de révélations dénommée « Les secrets de la Cour ».

– Médiapart a eu accès à un certain nombre de documents, un certain nombre d’e-mails notamment, qui montraient de manière évidente qu’il y avait eu des contacts, donc là c’était vraiment la preuve écrite, qu’il y a eu des contacts au début de la crise post-électorale. Donc la crise commence début décembre 2010 et il y a eu des échanges de mails entre une ancienne responsable, poste important, de la Cour pénale internationale, qui était diplomate française, qui avait rejoint le bureau de la France à l’ONU à New York. Et donc, cette diplomate envoyait un mail à Luis Moreno Ocampo, donc son ancien patron, toujours, lui, procureur de la CPI à l’époque, lui disant, lui demandant, je ne sais plus les termes exacts mais : « j’ai besoin de savoir ce que tu as dit hier dans ta conversation avec Alassane Ouattara ».

Ça, c’était avant les premières violences post-électorales, il ne s’était encore rien passé de violent quand cet échange de mails se fait. Et quand on voit ça, quand on fait des recherches sur cette question-là, on est extrêmement étonné de voir que le procureur a déjà des contacts avec une des parties en conflit.

– Alors que la guerre post-électorale s’envenime, les diplomates et fonctionnaires internationaux français se trouvant à la Cour pénale internationale au siège des Nations unies ou à Paris, s’affairent pour monter le dossier de transfèrement de Laurent Gbagbo, alors qu’il est toujours au pouvoir à Abidjan. Ensuite j’ai regardé d’autres documents qui montraient que les échanges de mails entre la diplomatie française et des employés de la Cour pénale internationale, plutôt français d’ailleurs puisqu’il y a des représentants français, ont continué pendant des mois.

Les uns et les autres ont cherché des moyens légaux pour pouvoir faire en sorte que Laurent Gbagbo soit transféré à la CPI, en fait qu’il y ait une enquête ouverte, et c’était très compliqué, ils n’arrivaient pas à trouver. Donc pendant des mois, on suit leurs échanges. Ils n’arrivaient pas à trouver parce qu’à l’époque la Côte d’Ivoire n’avait pas ratifié le Statut de Rome qui est le fondement juridique de la Cour et donc ils n’avaient pas de justificatif, de base légale, pour pouvoir justifier l’arrestation de Laurent Gbagbo.

Et ça a continué jusqu’au 11 avril 2011, à ce moment-là, personne n’a encore le moyen, la base légale pour pouvoir faire quelque chose contre Laurent Gbagbo au point de vue de la justice internationale.

Mais, là aussi il y a de nouveau un échange de mails et alors là, cet échange de mails est aussi extrêmement intéressant quand on s’intéresse de près à tout ça, il est question à ce moment-là… Ce sont des diplomates français qui sontau sein de la CPI, ou des cadres en tout cas français qui s’adressent à la diplomatie française, donc là, à des diplomates en poste leur disant qu’il y a un message pour Alassane Ouattara disant qu’il ne faut surtout pas relâcher Laurent Gbagbo. Et quelques jours plus tard, un ou deux jours après il a été transféré dans le nord de la Côte d’Ivoire où il a été enfermé dans une petite maison pendant près de huit mois sans voir la lumière du jour, dans des conditions difficiles mais tout ça sans bases légales ni liées à la législation ivoirienne.

Et, à ce moment là la CPI n’avait rien contre lui, ne pouvait rien faire contre lui. La seule solution qu’ils ont trouvée pour faire en sorte qu’un enquête soit ouverte contre lui, c’est que le bureau du procureur s’auto-saisisse.

Effectivement c’est ce qui se passe et l’enquête est à peine ouverte que Laurent Gbagbo est transféré. Donc déjà, on s’interroge évidemment sur ce processus extrêmement rapide, en réalité il n’y a eu aucune enquête.

– De facto, c’est sur la base d’article de presse et de rapport d’ONG reprenant la narratif de la France officiel que Luis Moreno Ocampo, puis sa successeuse Fatou Bensouda, montent leur dossier d’accusation. L’enjeu est de confronter le story-telling médiatique unilatéral au contradictoire judiciaire. Avant le procès à proprement parler, il faut d’abord passer par l’étape de confirmation des charges, c’est-à-dire évaluer la solidité du dossier en vue d’une inculpation.

Et déjà les choses coincent, nous sommes en 2013. – Au moment de la première audition qui est censée confirmer les charges, on se rend compte que deux juges vont dire : « ben non, le dossier n’est absolument pas solide pour justifier une inculpation. » Et normalement, il aurait fallu à ce moment-là qu’on libère Laurent Gbagbo puisqu’il y avait deux juges sur trois (ils étaient trois pour cette chambre préliminaire) , deux juges sur trois qui décident à la majorité ayant dit : « on ne peut pas l’inculper, il n’y a pas les bases suffisantes. » Là, première ou nouvelle surprise, les juges finalement vont dans un autre sens et donnent un an supplémentaire à la procureure, qui était à l’époque Fatou Bensouda, un an supplémentaire pour enquêter.

Finalement, un an plus tard, les choses ont un peu changé dans les décisions des juges puisqu’ils ont décidé finalement de l’inculper.

– Y a-t-il eu des pressions pour que ce procès dans lequel Paris a tant investi ne tourne pas court en 2013 ? En tout cas, des fuites de mails échangés entre Luis Moreno Ocampo, qui n’est plus le procureur auprès de la CPI, et la diplomate française Béatrice Le Fraper du Hellen montrent que cette dernière est informée du contenu des délibérations entre les juges qui est censé être secret. – Le procès de Laurent Gbagbo et de Charles Ble Goudé commence finalement le 28 janvier 2013 avec les auditions des témoins de l’accusation.

Au fil des semaines et des mois, c’est un véritable fiasco qui se confirme. Les rares expertises balistiques ou médico-légales ne recoupent pas le récit de l’accusation.

Les fonctionnaires onusiens qui assuraient détenir des preuves de crime contre l’humanité sont absents du prétoire. Prenons l’exemple du bombardement supposé d’un marché Abobo, un quartier d’Abidjan censé avoir eu lieu le 17 mars 2011, le lendemain les Nations Unies publiaient un communiqué catégorique. Le propos est catégorique, mais les preuves évoquées dans le communiqué e sont pas rendues publiques par la suite lors du procès. Le procureur de la CPI change même de version et évoque plutôt des obus de 200 mm sans, lui non plus, prouver quoi que ce soit. Les vidéos de violences ayant eu lieu au Kenya se retrouvent dans la liste des preuves du bureau du procureur.

De manière générale, les rares expertises balistiques ou médico-légales ne confirment pas la trame de l’accusation. En dépit des millions d’euros investis dans cette procédure, il n’y a rien de sérieux contre Gbagbo. – Le fait qu’il ait été acquitté est logique quand on sait à quel point les 82 témoins de l’accusation n’ont absolument rien apporté pour étayer la thèse du procureur qui disait lui, que Laurent Gbagbo avait monté un plan commun, c’est le terme officiel, avec son entourage et que l’idée de ce plan commun était de garder le pouvoir à tout prix, y compris en tuant des civils et en les ciblant selon des critères ethniques. Il n’y avait rien absolument dans ce que disaient les témoins qui pouvait étayer ça et une partie des témoins donc faisaient soit des récits incohérents et imprécis et c’était assez impressionnant à suivre. Et puis une autre était complètement favorable à Laurent Gbagbo, à tel point que certains ont été déclarés témoins hostiles par le procureur qui voyait ses témoins lui échapper.

– Acquitté le 15 janvier dernier, l’ancien président ivoirien et son collaborateur demeurent en prison, au moins jusqu’au premier février, c’est-à-dire trois jours après la diffusion de cette chronique. Une originalité qui trouverait sa signification dans le dédale procédural de la CPI. Manifestement, le procureur veut s’assurer que les ex-accusés, désormais innocentés, ne puissent pas rentrer dans leur pays après leur sortie de prison. Ce qui est de nature à alimenter les accusations de manipulation politique. – C’est une justice bipolaire, c’est une justice schizophrène.

Elle dit le matin une chose, elle se dédit l’après-midi et le lendemain elle rejuge dans le sens contraire ce qu’elle a déjà jugé la veille. Donc c’est une justice scandaleuse, mais une fois encore les décisions qui sont prises par la Cour pénale internationale ne sont pas des décisions de justice, ce sont des décisions politiques. Parce que quand on gratte le vernis du droit, eh bien tout de suite on voit la politique, on voit la diplomatie, on voit la main de l’Élysée, on voit les intérêts français, on voit les officines de la Françafrique, c’est cela la CPI.

– Difficile de savoir si la Cour pénale internationale survivra à toutes ces éclaboussures, mais il est important de dire et de redire qu’au delà des insuffisances techniques et de la faiblesse des capacités d’enquête du bureau du procureur, ce qui la ronge aujourd’hui est surtout la prise en otage du bel idéal de lutte contre l’impunité par les puissances occidentales, et en particulier par la France. Une fois de plus, les droits de l’homme ont été cyniquement instrumentalisés par de vieux impérialismes qui veulent légitimer par le droit les guerres qu’ils provoquent histoire de masquer leur barbarie si distinguée.

Et s’ils ne parvenaient au fond qu’à alimenter, dans les pays du sud, la défiance vis-à-vis de la démocratie, nourrissant par la même occasion les nationalismes radicaux qu’ils prétendent combattre.

Le débat est ouvert. [Note du Sous-titreur : Laurent Gbagbo a finalement été libéré, mais il est en liberté surveillée en Belgique et ne peut voyager].

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