Lapiro de Mbanga, L’Homme des ruptures

Lapiro de Mbanga, L’Homme des ruptures

Lapiro de Mbanga: L’Homme des ruptures par Haman Mana

D’une étape à l’autre, le célèbre artiste s’est posé essentiellement en se détournant des sentiers battus.

Lapiro de Mbanga: L’Homme des ruptures
Lapiro de Mbanga: L’Homme des ruptures

Lapiro de Mbanga a fait un dernier pied de nez à tous ceux qui le regardent et l’écoutent depuis un quart de siècle, tout en se demandant ce que cet iconoclaste va encore leur sortir: Lambo Sandjo Pierre Roger, selon une source proche de sa famille, a demandé, parmi ses dernières volontés, à être incinéré aux Etats-Unis où il est mort et non pas enterré à Mbanga où il est né, a vécu et a été célébré. En se refusant à la terre de Mbanga dont il a porté haut le nom, cet artiste fait un dernier geste de rupture et sans doute de protestation, à l’endroit du système qu’il a combattu avec une arme bien particulière: la musique…

Pourtant, ce n’est là que l’ultime rupture de Lapiro de Mbanga qui rentre dans l’univers musical du Cameroun au milieu des années 80, en rupture totale avec tout ce qui se faisait alors. De tout bon garçon du littoral camerounais, on attendait un makossa chanté en duala. Devant un makossa déjà à bout de souffle, le gars de Mbanga fait entendre à un public médusé, des notes qui commencent sur les bords du Wouri et se perdent sur les rives du Congo.

L’étonnant mélange de makossa camerounais et de rumba congolaise est en plus détonnant. Lorsqu’on écoute les textes, Lapiro de Mbanga chante comme on parle à Mbanga et Pendja: dans le pidjin le plus âpre, celui qu’utilisent uniquement les mauvais garçons, un mélange de langues camerounaises saupoudrées d’un français et d’un anglais triturés, le tout bourré de codes changeant d’un locuteur à l’autre… Le plus surprenant n’est pas que la langue. Il y a aussi le message, qui déjà suggère la revendication et qui prend le parti des plus faibles (« Surface de réparation», 1986, «No make erreur», 1989). Le contexte de l’époque (les lois de 1992 sur la subversion ont encore cours et les policiers ne se gênent pas de s’en servir) est propice à une forme de sympathie et d’admiration qui construisent la «marque» Lapiro de Mbanga.

Années de braise

Surviennent les «années de braise. Lapiro de Mbanga fait partie des personnalités de la société civile qui prennent d’assaut, la forteresse des monolithismes camerounais. Il est au front pendant les «Villes mortes», les réunions de la «Coordination», participe aux mots d’ordre, lance des défis au pouvoir… En ces jours de début 90 où le biyaïsme ne tient plus qu’à un fil, les Lapiro de Mbanga, et autres, Anicet Ekanè, Djeukam Tchameni, etc. sont en première ligne.

Nouvelle rupture: Alors que l’opposition prône des mots d’ordre «pour en finir» avec le régime Biya, Lapiro de Mbanga se désolidarise de l’opposition dure, arguant que «son peuple» a déjà trop souffert des villes mortes et le temps est à le laisser souffler. C’est un discours qui arrange les affaires du régime aux abois et prêt à tout pour sa survie. Lapiro de Mbanga est porté par les suppôts du régime autant qu’il est rejeté par les durs de l’opposition.

Episode dramatique: le «Matango club», son bar, son antre de Mbanga, sera même incendié par une bande d’excités qui le traitent de traître. Philosophe, Lapiro de Mbanga chante «Na Wou go pay» (qui payera ?) 1992, une chanson dans laquelle il rejette dos à dos, l’opposition et le pouvoir en place, pour les souffrances qu’ils font subir au peuple, à cause de leur acharnement à dépouiller celui-ci. Lapiro, pendant un temps, porte la chasuble du Mahatma Ghandi, apôtre de la non-violence incompris, y compris des siens.

Vient le temps de la «démocratie apaisée». Rupture, une fois de plus: Le musicien révolté en bleu jeans et baskets, devient un notable traditionnel de Mbanga en boubou et chasse-mouches. Lapiro de Mbanga s’est-il pour autant assagi? Sans doute non: lorsque Paul Biya et le groupe au pouvoir changent la Constitution du Cameroun en 2008, pour permettre au perpétuel Président d’asseoir son éternité, le révolté de Mbanga chante «Constitution constipée». Là, on n’est plus tout à fait dans le domaine de la musique. On se situe dans le domaine de l’expression citoyenne pure, où un Camerounais dit haut et fort son aversion pour un régime qui n’en finit pas de durer.

Dans la foulée, il y a les émeutes de février de la même année. Quelques semaines après les émeutes, il est arrêté et jeté à la prison de New-Bell à Douala, où il s’inflige un supplice supplémentaire: pendant deux- ans et demi, «Ndinga Man» (l’homme à la guitare) se refusera à toucher à une guitare. A l’auteur de ces lignes, il le justifiera en disant: «Ce qui m’arrive dans cette prison est trop fort. Je ne toucherai pas à une guitare tant que je m’y trouverai. J’ai trop de respect pour cet instrument pour m’en servir dans cet état de sous-homme dans lequel on m’a réduit, en me poussant ici, pour rien… ».

En effet, Sa Majesté Lambo Sandjo Pierre Roger, artiste de réputation, est jeté en prison pour «pillage et destruction de biens en coaction». L’une des perles du Code pénal du Cameroun…

Lapiro l’artiste, n’était pas qu’un chanteur aux textes politiques enflammés. Il a aussi chanté l’amour et la mélancolie. Et ce qui à nos yeux restera sa plus belle chanson, c’est sans conteste, «Fogho Ma Wo», l’une de ses rares chansons dans la langue de sa mère, le abo. Dans celle-ci, il exprime la solitude de l’orphelin, mais où il transparaît la profonde solitude de cet homme qui, au fond, restera un grand incompris.

Haman Mana | Le Jour Mercredi le 19 Mars 2014

Source: https://www.facebook.com

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