LA FONCTION D’ÉCRIVAIN EXPLIQUÉE À PAUL BIYA,
Concierge de la République
Paul Biya n’est pas Léopold Sedar Senghor. On ne peut pas le lui reprocher. Il a cependant toujours eu autour de lui, et est d’ailleurs allé au lycée Leclerc de Yaoundé et à l’université en France, avec deux des plus grands écrivains camerounais – des classiques. Mongo Béti, évidemment, mais aussi Ferdinand Oyono qui a longtemps été son confident et son ministre d’État. On ne peut donc pas dire qu’il ne sait pas ce que c’est qu’un écrivain – il le sait, il a vu les écrivains travailler, et il les a même lus. Il sait donc que l’écrivain c’est une fonction publique, qui est différente, et parfois à l’opposé de la vie privée de l’écrivain – demandez à mon épouse si elle aime mon métier d’écrivain, elle vous dira non. De même que Biya est chef de l’État et père de famille, deux fonctions bien distinctes, l’écrivain a aussi deux fonctions, exactement comme le Président de la République a deux corps : le corps privé, et le corps public. La fonction publique de l’écrivain est fondamentale, et ce sont ses œuvres, toutes ses œuvres sans exception. Dans notre pays comme partout cette fonction est d’abord communautaire. C’est-à-dire que l’écrivain est la voix du peuple.
Cela veut dire quoi ? Cela veut dire ceci : l’écrivain est la voix de sa communauté, donc, Amal parle pour les Nordistes, et surtout pas pour les Anglophones ni pour les Bamiléké. Oserait-elle qu’elle recevrait immédiatement une cinglante gifle publique – des Anglophones ou des Bamiléké, justement. C’est que notre peuple est divisé en quatre communautés, les Anglophones, les Bamiléké, les Béti, et les Nordistes, chaque communauté ayant ses satellites. Le peuple n’est donc pas une abstraction, mais une réalité tangible que le président rencontre, et que l’écrivain rencontre aussi, chacun à des niveaux et dans des lieux différents. Pour le dire concrètement, malgré le fait qu’il soit chef de l’État, Paul Biya ne peut pas savoir ce qui se passe dans le saré des Nordistes, des Peuls – en tant qu’homme, il n’y a pas accès. Or c’est uniquement des saré que parlent les romans de Djaili Amadou Amal. De même, Paul Biya ne peut pas savoir ce qui se passe dans une famille anglophone de Nyassosso, or c’est exactement ce que je lui avais décrit dans un article de décembre 2017 qui m’a valu d’aller en prison.
Je suis en train de dire ceci : la fonction publique de l’écrivain, est de donner voix au peuple qui, autrement n’aurait pas de voix. Malheur à celui qui n’écoute pas cette voix, et maudit celui qui, au lieu d’écouter la voix du peuple que transporte l’écrivain, s’abat plutôt sur ce dernier, et l’incarcère. Cette malédiction peut être vue dans la zone anglophone, car, Paul Biya avait-il écouté ce que je lui avais dit en décembre 2017, il y’a exactement trois ans donc — je lui avais dit qu’il ne pouvait jamais gagner la guerre contre les Anglophones -, qu’il n’aurait pas abattu trente mille de nos frères et sœurs anglophones, incarcéré des milliers, contraint cinq-cent-mille à l’exil, détruit toute une région, et mis sur son propre dos dorénavant l’accusation d’être génocidaire. Pourquoi sommes-nous arrivés là ? Parce que la fonction publique de l’écrivain n’a pas été prise au sérieux, parce que, au lieu d’écouter le peuple dont l’écrivain est le porte-voix, dont j’étais alors le porte-voix, Paul Biya s’est plutôt abattu sur l’écrivain que je suis. Comme les sportifs, comme les politiciens, les écrivains ont cependant une mainmise sur l’espace public qu’il n’a pas.
Mieux, les écrivains entre eux se parlent, et c’est cela qui est le plus important. Autant aucun de nous ne peut écrire à la place de l’autre, autant nous savons évidemment que nous occupons chacun un espace bien précis de la scène publique, au cœur d’un pouvoir régulé par ce qui s’appelle l’axe Nord-Sud. Dans notre pays le traitement que reçoit un écrivain nordiste, ne sera jamais le même que recevra un écrivain bamiléké, ni le même que recevra un écrivain anglophone. Ainsi au moment où Djaili Amadou Amal, autrice nordiste, est reçue au palais parce qu’elle est la voix des sans-voix nordistes, Conrad Tsi, écrivain anglophone, est en prison, condamnée à quinze ans de prison pour avoir été la voix des sans-voix anglophones, tandis que Bertrand Teyou, écrivain bamiléké, était en prison lui aussi, tout comme moi d’ailleurs – et j’ai toujours dit que mon incarcération et mon expulsion étaient ancrées dans le socle tribal de ce pouvoir – pour avoir rempli la même fonction.
Concierge de la République
Les écrivains entre eux échangent, se parlent, par-delà ces clivages. Et même quand nous nous observons en silence, nous n’en demeurons pas moins une corporation. Il suffit pour cela de lire le livre de Pabe Mongo, « La Nolica, Nouvelle littérature camerounaise, du maquis à la cité », pour voir le lien de composition entre mon « Temps de chien » et le travail d’Amal dont l’écriture est née dans cette école de Yaoundé. Or me voici, avec dans une main le livre de Bertrand Teyou, mort dans l’obscurité, après une incarcération abusive au Cameroun, pour un livre, « La Belle de la république bananière : Chantal Biya, de la rue au palais », lui pour la libération de qui j’ai mené une campagne à succès en 2011, ma deuxième campagne publique, et d’autre part, le livre de Djaili Amadou Amal, « Les Impatientes », qui vient de recevoir le prix Goncourt des lycéens, et l’accolade de Chantal Biya que décrivait si bien Teyou.
Me voici avec d’une part Imbolo Mbue, écrivain anglophone publiée par le gigantesque Random house et qui a vendu son premier livre à 500 000 000 FCFA, elle qui passe déjà sa quasiment vingtième année hors du Cameroun, pays ou des jeunes anglophones comme elle sont abattus, décapités, enterrés dans des fosses communes, pour la seule raison qu’ils sont anglophones, et avec d’autre part évidemment Djaili Amadou Amal qui est reçue au palais dans cette république si punitive pour les écrivains – mais elle a la chance d’être Nordiste ! Enoh Meyomesse devrait être cité ici aussi, lui qui est évidemment Béti, Bulu plus précisément, et dont la punition aura été qu’il se soit retourné contre Edgar Mebe Ngo’o, Bulu comme lui et alors pris pour dauphin, dans un parricide tribal que ne pardonne pas ce pouvoir tribal. C’est dire que la relation avec l’écrivain est devenue bien difficile dans notre pays, si difficile qu’on nous reproche de faire notre travail, donner parole à ceux ou celles qui sont sans voix, quand n’importe quel quidam ne veut pas écrire à notre place. Si difficile au fond, qu’au lieu d’avoir les accolades du Président de la République quand ce travail de porte-voix est bien fait — ce qui a lieu avec les Lions et Lionnes indomptables, même quand ils perdent -, c’est plutôt l’épouse de ce dernier qui se présente par procuration. Si difficile que ce manque de respect aux écrivains devienne chose publiquement partagée, car voilà Maurice Kamto qui s’y met avec GCTV et JSK, tout comme avant lui John Fru Ndi avec Mongo Béti – le manque de respect aux écrivains, si profond que le pouvoir leur refuse l’accolade à laquelle ils ont droit quand ils font bien leur travail.
Du piédestal où il était avec Ferdinand Oyono et Mongo Béti, comme on voit l’écrivain a dégringolé chez nous – Amal est reçue par l’épouse de Biya, qui n’est pourtant pas absent. C’est au bout de cette dégringolade de l’écrivain camerounais dans la scène publique que se trouvent évidemment la prison, et l’exil. Et que le Cameroun devient le pays qui incarcère le plus les écrivains en Afrique.
Concierge de la République
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