NON, IL N’EST PAS MORT POUR 100 FRANCS

Par Franck ESSI

NON, IL N’EST PAS MORT POUR 100 FRANCS Par Franck ESSI
NON, IL N’EST PAS MORT POUR 100 FRANCS Par Franck ESSI

Depuis les évènements tragiques ayant vus le décès d’un citoyen camerounais, gendarme de profession et l’hospitalisation d’un autre, son collègue, à la suite d’un incident avec des agents de la compagnie de transport interurbain Finex, nous observons et partageons l’indignation légitime qui ne cesse de s’exprimer. C’est absolument horrible ce qui est survenu. En chœur avec ceux et celles qui se sont déjà exprimés sur la question, je dis également une chose simple : la justice doit être rendue et les leçons doivent être tirées.

Mais pour pouvoir le faire, pour ma part, je pense qu’il ne faut pas, à travers des formules rapides, résumer faussement ce qui s’est passé dans le cas de Finex et ce qui se passe depuis longtemps dans notre société.

Pour ma part, il n’est mort à cause de 100 F CFA. Il est mort à cause d’un faisceau de plusieurs raisons qui pour ma part sont des éléments structurels.

Il est mort à cause d’une altercation née du fait qu’il n’avait pas payé ou n’avait pas la petite monnaie pour l’usage des toilettes de l’agence de transport. Est — ce parce qu’il protestait contre cette curieuse pratique ? Est — ce parce qu’en tant que gendarme, il croyait pouvoir se dispenser de ces frais ? L’enquête approfondie doit nous permettre d’en savoir plus. Pour avoir été souvent témoin ou acteur de ce type de situations, en moins tragique, je reste persuadé que c’est parfois le jeu de l’égo et l’incapacité à se maitriser qui transforme des problèmes bénins en drames irréparables.

Il est mort à cause à cause de l’absence ou de la mauvaise formation du personnel officiant dans cette agence de transport en particulier, mais dans nos agences de transport en général. S’ils avaient été bien formés sur comment gérer certaines situations, ce qui devait être fait et ce qu’il fallait absolument éviter, on ne serait pas arrivé à cette catastrophe. On ne tue pas quelqu’un parce qu’il refuse de respecter des règles ou de s’acquitter de certains frais. La vie en général et la marche de l’entreprise de transport en particulier ne se limitent pas à cela. Cette réaction disproportionnée et inacceptable est l’indicateur d’un sérieux déficit dans la sélection, la formation et l’encadrement du personnel de ces compagnies de transport.

Il est mort à cause de l’absence manifeste (ou du non-respect) de procédures dans cette entreprise pour gérer certains cas de figure. Quand on met en place une organisation, on doit pouvoir prévoir certaines situations problématiques et la façon dont l’entreprise les gère dans le respect des lois et de la dignité de tous. Qu’est — ce qui est prévu quand quelqu’un ne veut pas payer ? La procédure au sein de cette entreprise instruite – elle de s’en prendre à lui violemment ? N’a — t — on rien prévu de plus intelligent pour ramener à l’ordre et aux bons sentiments des usagers « difficiles » ? Pour ma part, vu la prévisibilité et la récurrence de ce type de situation, c’est une faute du management de l’entreprise de n’avoir pas un système pensé, structuré et efficace d’anticipation et de gestion de ce type de situations.

Il est mort à cause de la faillite de la régulation étatique dans le domaine des transports en particulier, mais dans tous les secteurs en général. Comment autorise — t’ — on des entreprises à fonctionner sans s’assurer que leur personnel, leurs procédures et leurs prestations soient conformes aux normes, lois et règlements dans le domaine ? Comment comprendre que des compagnies de transport fassent payer le fait d’aller aux toilettes aux personnes qui ont déjà acheté leur billet ? De quelle norme s’agit-il ? Pourquoi ne pas inclure les frais d’accès aux toilettes dans le billet ? Comment se fait – il que depuis des années que des incidents sont observés, des plaintes sont exprimées, des violations diverses sont pratiquées à ciel ouvert, il n’y a pas d’action forte pour amener à des changements significatifs ? Quand la loi est systématiquement violée et les normes écartées, c’est la porte ouverte à ce type de drames. La fonction de l’État est, il me semble, d’exercer une veille permanente et de véritablement s’assurer que ses entreprises respectent chaque jour un peu plus les normes.

Il est mort à cause de l’effondrement des valeurs dans notre société. De plus en plus, nous le constatons, l’être humain passe après l’argent. Dans nos villes, le principe qui gouverne le comportement de nombreux citoyens se résume dans la formule « Mon intérêt d’abord, celui de la société après voire jamais ». Nous connaissons tous les expressions « Pour moi quoi dedans ? », « Je suis Jésus ? », « C’est la maison de ton père ? », etc. À cette allure, la notion d’intérêt général est devenue inopérante et s’en soucier apparait aux yeux de beaucoup comme soit de la naïveté, soit de la bêtise.

Il est mort à cause l’effondrement des institutions en charge d’assurer l’ordre et la justice dans notre société. Au regard des expériences malheureuses dans les services de police et de gendarmerie, on a perdu nos illusions sur l’intégrité de ces corps en charge d’assurer l’ordre et la sécurité. À cause de multiples expériences malheureuses dans nos cours de justice, on a pris la mesure du pouvoir de l’argent dans notre pays. Dans une société qui privilégie déjà les voies et façons informelles au quotidien, on a généralisé la gestion informelle des conflits. On préfère se faire justice soit même que de faire confiance à des institutions policières et judiciaires débordées et décrédibilisées. Ce qui s’est passé à Finex est également l’une des malheureuses conséquences de cet état de fait. La vindicte populaire, souvent appelée à tort « justice populaire » ne date pas d’aujourd’hui.

Il est mort enfin à cause de l’ensauvagement croissant de notre société. Phénomène qui se traduit par une montée de l’intolérance et de la violence dans toutes ses formes. De nombreux citoyens camerounais sont porteurs de frustrations qui cherchent, à travers les moindres frictions, un débouché. Ses pulsions violentes sont d’autant plus présentes que notre pays, à travers les difficultés de la vie quotidienne et les crises diverses qui le traverse, un espace de conflit laissant poindre le schéma de « la guerre de tous contre tous » tant redouté.

Ainsi, c’est très réducteur de ramener ce drame à une affaire de 100 francs CFA.

Il y a chaque jour des drames dans ce pays qui sont la conséquence de l’un ou de la combinaison des facteurs cités plus haut.

Il faut en prendre conscience. Il faut en prendre toute la mesure.

Il faut être lucide sur le fait que nul n’est à l’abri d’une telle violence et d’un tel drame.

Il faut comprendre que nous sommes là, au propre comme au figuré, dans un impératif catégorique d’examen de conscience pour être en mesure de regarder les démons qui travaillent notre société en vue de les exorciser.

Cette prise de conscience est un pas nécessaire, voire le premier pas à faire. À un niveau individuel comme collectif, faisons ce pas !

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a de l’émoi et de l’indignation face à l’horreur du drame. C’est à nous de travailler pour que toute cette colère produise des fruits qui améliorent les choses.

Sinon, nous n’aurons fait qu’assister à notre mise en bière collective en tant que société.

Par Franck ESSI

Source: https://www.facebook.com

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